Sociologie du vote RN : faut-il "casser le thermomètre" ou bien chercher à comprendre ce qui se passe réellement dans la société française ?
Sur Ciel de France : Entretiens, études et recherches sur le sujet brûlant du vote populaire RN
*****************************
EXTRAITS :
LUC ROUBAN - CNRS
· La seule explication à l’élargissement du vote RN n’est pas le racisme, même s’il y a un noyau d’électeurs racistes
Je prends un exemple : le dernier rapport de la commission nationale des Droits de l’homme sur les valeurs des Français. Les indicateurs de xénophobie et de racisme sont en baisse sur les dernières années. Comment alors expliquer que le vote pour le Rassemblement national augmente ? Un vrai paradoxe. La seule explication à l’élargissement du vote RN n’est pas le racisme, même s’il y a un noyau d’électeurs racistes. Il faut la chercher ailleurs.
- Mais comment peut-on être non raciste et voter pour un parti qui a pour objectif la mise à l’écart d’une partie de la population sur des bases ethniques ou religieuses ?
L.R. : Le problème de l’immigration existe, et sans être forcément racistes, les électeurs disent qu’il y a un problème d’intégration, de politique d’immigration qui n’est pas contrôlée. 70 % des enquêtés disent que les immigrés ne sont pas intégrés, qu’il n’y a pas de suivi, qu’on ne parvient pas à se séparer de personnes qui n’ont rien à faire dans le pays. S’ajoutent les problèmes de concurrence économique, par l’abus que peut faire le patronat en pesant sur les salaires, ressentie par les catégories populaires ou rurales. Ces éléments ne caractérisent pas ces électeurs comme racistes, mais illustrent en revanche un sentiment de perte de contrôle de la situation.
- Comment alors s’adresser à ces électeurs si on cherche à les détacher du Rassemblement national ?
L.R. : Surtout en ne faisant pas ce qu’a fait Macron ! Au fond, les macronistes et le RN sont les deux faces d’une même pièce. Ils se nourrissent l’un l’autre. Cela se joue dans la perte de légitimité de la hiérarchie sociale et le sentiment de perte de contrôle de la situation. Cela touche le cœur de la mémoire républicaine parce que la République, c’est le volontarisme…
****************************
HERVÉ LE BRAS - EHESS - INED
- Quelle lecture faites-vous du vote de ce dimanche ?
Quand on regarde localement, les caractéristiques du vote RN demeurent les mêmes, mais il se situe à peu près 8 points plus haut qu’aux élections européennes de 2019, et 6 à 7 points plus haut qu’à l’élection présidentielle de 2022. Reste l’énorme différence entre les zones rurales et les grandes villes. Mais quand on regarde de près, encore cette fois-ci, le vote du RN est d’autant plus important que la commune est petite.
- Pourquoi ?
Certains peuvent avoir le sentiment d’être relégués, d’être isolés, de ne pas faire partie d’un grand ensemble où les choses se décident donc d’une grande ville ou même d’une ville moyenne.
Or, lors de la première élection où le RN est apparu en 1984 - Jean-Marie Le Pen n’avait récolté que 11 % des voix à l’époque -, il avait une dominante dans les grandes villes. Et puis progressivement, cela s’est inversé, au point qu’il touche maintenant les zones les plus rurales.
- Peut-on également dresser un lien avec une France paupérisée qui irait plus radicalement vers les extrêmes ?
Si on fait abstraction de la taille des communes, lorsqu’on voit la carte de la répartition géographique du vote de 1984 pour Jean-Marie Le Pen, elle a très peu changé. Elle est double.
Il y a une géographie régionale avec la bande Nord-Est et la zone méditerranéenne, puis le milieu de la vallée de la Garonne, avec un vote pratiquement à 60 % pour le RN.
Ce sont aussi les régions où le chômage des jeunes est le plus élevé, où il y a le plus de jeunes sans diplôme, de familles monoparentales, où la pauvreté est la plus élevée, comme le montraient les cartes de l’Atlas des inégalités.
[…]
- Pourquoi êtes-vous si inquiet pour les élections législatives qui s’annoncent prochainement ?
Je suis assez effaré que jusqu’au bout, le gouvernement ne se soit pas rendu compte que le RN pouvait autant les décrocher. Cela veut dire que s’il y a le même niveau d’erreur par rapport à ce qu’il pense à propos du 30 juin, c’est très inquiétant.
J’ai beaucoup travaillé sur les données du Front national depuis longtemps, et je n’ai jamais été inquiet. Même en 2022, justement par le fait que c’était très rural, que cela n’atteignait pas les grandes villes et les centres de décision. Je voyais un peu cela sur le modèle électoral - bien que cela n’ait pas de rapport sur le contenu - du Parti Communiste dans les années de la IVe République : il y avait quelque chose qui empêchait son accès au pouvoir. Là, c’est en train de changer, c’est pour cela que cette fois-ci, je suis beaucoup plus inquiet.
********************************
LISA GUILLEMIN - JOURNALISTE A "MARIANNE"
Autre bouleversement sociodémographique majeur : la fin du gender gap parmi les électeurs Rassemblement National. Les femmes et les hommes votent désormais presque à parité, avec respectivement 30 % et 32 % des bulletins recueillis. Il faut dire que le parti nationaliste s’est appliqué à lisser son image auprès de la gent féminine. Comme en témoigne son coup de poker, lors de sa niche parlementaire du 12 octobre dernier, quand le RN, pourtant d’habitude peu enclin à porter des sujets sociétaux progressistes, a proposé un texte sur l’endométriose , maladie touchant une femme sur dix en France. Pour rappel, les femmes n’étaient que 20 % à avoir choisi ce parti lors des européennes de 2019.
Si les ouvriers affichent depuis plusieurs années leur préférence pour le parti à la flamme (52 % d’entre eux ont voté RN le 9 juin 2024, et 9 % pour la liste de Glucksmann), les employés leur ont emboîté le pas, avec 39 % des suffrages, soit une hausse de 12 points par rapport à 2019. Enfin, souvent peu plébiscité chez les cadres, le parti de Marine Le Pen réalise une percée notable puisqu’il recueille 20 % de leurs votes, à égalité avec le Parti socialiste.
S’étant fait le chantre de la ruralité et le porte-parole des revendications des agriculteurs , le RN consolide ses zones de force dans les communes de moins de 2000 habitants et entre 2 000 à 9 999 habitants. Le vote Bardella continue d’être celui d’une France périphérique, qui vit dans l’ombre des grandes métropoles. Mais au vu des résultats, la vague bleu marine semble avoir franchi les rocades des petites et moyennes villes, avec 32 % de votes de la part des habitants des agglomérations de 50 000 à 199 999 habitants, et même 25 % de ceux des villes de plus de 200 000 habitants (+5 points par rapport à 2022). La candidate Hayer y arrive loin à la deuxième place, avec 15 % des bulletins engrangés.
********************************************
Sur Ciel de France, la compilation intégrale,
avec les graphes statistiques :
********************************************
********************************************